30.8.06

La Cité d'Is, recension du Livre

Françoise Le Roux, Christian-J. Guyonvarc’h,
Editions Ouest-France, Rennes Mai 2000.



La légende de la ville d’Is figure très certainement parmi celles que nos contemporains pensent connaître le mieux. Néanmoins ceux qui peuvent, dans les livres où ils en parlent citer les sources les plus anciennes de ce récit, et surtout le situer par rapport au mythe, d’origine celtique, à la légende et enfin au folklore, sont déjà beaucoup moins nombreux. Il est vrai qu’à notre époque il n’est plus guère de bon ton de vouloir présenter les faits historiques de façon nette et précise. On préférera la vulgarisation, la simplification et surtout l’imaginaire et la rêverie. Mais à force de simplifier et de distiller à un public non averti une « littérature » qui se soucie comme d’une guigne de faire la différence entre mythe et folklore on finit, inévitablement, par rendre le dit public, obstinément imperméable, à toute tentative de rectification scientifique, pour ne rien dire d’une optique authentiquement traditionnelle. Toutefois les livres de Mme Le Roux et de M. Guyonvarc’h connaissent un succès qui laisse présager une fois encore que ce que nous avons énoncer plus haut ne se vérifiera pas. Certains, habitués à la pénombre des demis vérités, ou d’autres, adeptes d’une obscurité mensongère seront, à n’en pas douter dérangés par la lumière vive que jettent les auteurs sur le thème mythique de la ville engloutie.
En fait ce n’est pas tant sur ce point que sur la figure de la femme de l’Autre Monde que le professeur Guyonvarc’h et son épouse ont fait reposer leur travail. Un travail qui une fois encore est admirable de précision et ne laisse pas de place au doute. L’un des intérêts principal de cet ouvrage réside dans le fait qu’il met à notre portée les sources de la légende. Il est ainsi possible de juger sur pièce. Les annexes comprennent donc trois textes. Le premier est du à Hersart de La Villemarqué, auteur du Barzaz Breiz, recueil de chants populaires bretons, malheureusement arrangés à la sauce romantique. Ce texte fait les frais d’une analyse linguistique serrée, qui démontre sa très faible cohérence. Viennent ensuite deux versions du mystère de Saint Gwénolé. Dans ces trois annexes le texte est donné à la fois en breton et en français. Dans le corps de l’ouvrage sont aussi cités d’autres sources qui sont, à chaque fois, analysées de façon scrupuleuses. On en arrive ainsi à une vue d’ensemble aussi claire que faire ce peut, dans ce domaine.
Des mythes irlandais qui mettent en scène la figure de la femme de l’Autre Monde aux documents bretons en passant par le thème de la submersion dans un récit irlandais et un poème gallois les auteurs mettent en lumière la descente inéluctable qui mène de la mythologie au folklore. La comparaison entre les textes mythologiques irlandais et le folklore breton rend compte de la manière fondamentalement différente dont l’Irlande et la Bretagne furent christianisées. En effet, si en Irlande la femme de l’Autre Monde est comme intégrée au christianisme, au prix de modifications somme toute minimes, elle est en Bretagne totalement rejetée. Mais l’histoire de ces deux pays n’est sans doute pas étrangère à cette différence de traitement. Il reste qu’en Bretagne Dahud est, dans tous les récits où elle apparaît reléguée au rôle de mauvaise femme, aux mœurs dissolues, responsable de la catastrophe, du châtiment divin. Néanmoins l’analyse des auteurs lui rend justice et la replace dans son domaine premier, celui de l’Autre Monde qui, justement, est séparé du notre par la mer. Par delà les bribes de folklore et aussi, par delà les voiles que jeta l’hagiographie bretonne sur ce personnage, Mme Le Roux et M. Guyonvarc’h, avec la précision, la justesse et la patience que nous leur connaissons désormais, dévoilent point par point cette « évidence » recouverte depuis fort longtemps par de trop nombreuses romances pour touristes. Leur dissection de l’ouvrage fantaisiste de C. Guyot démontre à ce sujet tout le mal que peuvent faire ces récits imagés dans lesquels l’auteur croit pouvoir se jouer de tout sous prétexte que les gens qui le liront en savent encore moins long que lui sur les origines du mythe qu’il maltraite. Il y a vraiment dans cette façon de faire toute l’incompréhension de notre époque pour tout ce qui touche au mythe et au monde traditionnel.

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